On peut lire toute notre his­toire dans les yeux des gens de mon peu­ple. Plongez votre regard dans le nôtre; notre regard couleur paille brûlée, miel amer, cuiv­re bouil­lant, or fon­du. Vous y trou­verez le long chemin de nos siè­cles sanglants. Nos iris ont une tex­ture brute. L’empreinte des douleurs, des com­bats et des silences. Les gens qui habitaient la Cap­i­tale, du temps de mes onze ans, ils avaient ces yeux. Le gamin courant entre deux ruelles, la bour­geoise aux lèvres entrou­vertes der­rière l’éventail, le spadassin tapi dans l’ombre. Tous, du plus vieux Natif enrac­iné à notre terre au plus jeune migrant accueil­li par nos rivages, tous partageaient et parta­gent encore la même sagesse intense, fatiguée et résolue. La lueur sauvage au fond de nos yeux n’est que le reflet de nos luttes. Je m’en rends compte, aujourd’hui, en nageant dans mes sou­venirs. Durant cette mis­sion au cœur de ma cité natale, alors que mille dan­gers me guet­taient, le regard de mes com­pagnons et celui de mes enne­mis étaient bien le même. Et pour­tant, nous nous don­nâmes mutuelle­ment la chas­se à grands coups d’épée, jusqu’aux portes brûlantes de la catastrophe.